
Camille Gillet n’a peur de rien – Narcissisme
Donc. Camille Gillet ouvre le bal pour cette rubrique dédiée aux auteurs du web et d’ailleurs, avec Narcissisme.
Camille a écrit Narcissisme, premier recueil de nouvelles et premier livre publié. Que Camille me pardonne d’avance mes interprétations, mes analyses, mes commentaires sur ses oeuvres qui sont toutes personnelles. Mais – je suppose qu’elle en a conscience – une fois mises en ligne, ses créations appartiennent au lecteur. Libre ensuite à ce dernier d’y voir des réponses à ses quêtes.
Camille commente l’actualité qui la titille, tient un atelier d’écriture – Car Camille ne peut s’empêcher de joindre des mots à ses maux sa vie- et entretient son activité consacrée à la rédaction web.
Ma démarche consistant à juger l’oeuvre d’un auteur contemporain auto-édité, donc en dehors des sentiers battus, m’oriente vers une réflexion essentielle : à quoi ça sert ?

Si la réflexion suit la lecture, tant mieux. Et à mon sens, ça peut et ça doit susciter la réaction quelque soit le domaine. Oeuvres classiques, roman policier, récit d’aventure, etc.
À toutes ces questions, je réponds oui évidemment, même s’il ne s’agit pas d’une fin en soi, puisque la littérature est destinée aussi – et d’abord – à donner du plaisir.
Il y a bien quelques genres à la marge, moins explicites, mais en réalité ils possèdent toujours un peu de sens.
Le mouvement Oulipo co-initié par Raymond Queneau par exemple et poussé à l’extrême par Georges Perec, qui se souciaient essentiellement de la forme et non du fond, avec des contraintes stylistiques excessives. Dada et le Surréalisme notamment, relèvent de cette idée. Autant d’écoles littéraires – ou plutôt artistiques pour ces deux-là – n’ayant pas vocation à donner du sens. Ils ne font au contraire que l’éclater et le remettre en cause.

© Enki Bilal.
Cette déconstruction du roman et de la littérature s’est amorcée au début du XX ème siècle. Qu’il soit absurde (théâtre de Ionesco), irréel, relevant d’un univers onirique (Lovecraft) ou oulipien (G. Perec). Ces genres nous entraînent inéluctablement vers un questionnement du monde, de notre environnement, de notre présence et de nos actes.
Ce qui est fondamentalement paradoxal puisque quelque part, cela fait sens… Mais attention, on risque de s’égarer dans des querelles sémantiques… Le roman, la pièce de théâtre, la poésie, le récit, demeurent à l’image d’une oeuvre d’art, le réceptacle de la personnalité et des idées de l’auteur. Si Exercice de style de Raymond Queneau constitue l’objet littéraire résistant le plus à cette analyse, ce n’est pas le cas de la plupart des autres :
– La Disparition de Georges Perec
– Nadja d’André Breton (qui n’est pas un roman)
– l’Écume des jours de Boris Vian ou encore
– Rhinocéros d’Eugène Ionesco et j’en passe des wagons entiers.
Notez, si vous ne le connaissiez pas encore, qu’Exercice de Style de R. Queneau est l’ouvrage le plus démonstratif en terme d’élasticité du discours.

En clair, comment dire la même chose d’une infinité de manières.
Cela peut d’ailleurs faire penser au Schpountz avec Fernandel.
Il se trouvera souvent un moment où l’auteur mettra une part de lui-même. Y compris dans la situation la plus incongrue qui soit. Comme dans En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut, où le père explique que son métier consiste à ouvrir et fermer des portes de garage. L’auteur faisant ainsi un clin d’oeil à l’un de ses métiers destiné à ouvrir et fermer des robinets !
L’écrivain enfouit dans ses écrits ses angoisses, ses peurs, ses tourments… Ceci pour souligner qu’au cours de votre lecture, Il y aura forcément derrière un mot, au fil d’une description à l’issue d’un paragraphe, au début d’un chapitre un sentiment, caché, lié à celui qui l’a imaginé puis écrit. Quand bien même l’auteur n’en aurait pas conscience (et là, je pense à Camille !). Cette dernière assertion établit un avantage. On bénéficie d’une liberté totale d’interprétation, à condition évidemment d’apporter les arguments prélevés dans le texte.
On peut enfin penser que le roman de gare – ce que l’on nomme paralittérature – soit l’exception, mais je ne le ferai pas, car à mes yeux toute littérature lue et appréciée, dispose d’une matière suffisamment digne pour être analysée. Elle a droit à son heure de gloire et mérite notre intérêt comme tous les autres genres. Oui, celle de la bibliothèque verte également. J’anime certes un blog littéraire, où j’aborde le XIX siècle, les oeuvres classiques… J’explore les méandres du romantisme, de l’histoire… Mais cela ne doit pas m’inciter pour autant à être un puriste… Où plus directement, je dirai pédant.
En croyant, ou voulant faire croire – à tord – que le roman est un domaine appartenant aux plus lettrés, aux libraires diplômés, aux universitaires, aux intellectuels aimant se retrouver en bonne compagnie, dans une émission télévisée chapeautée par une figure appartenant au petit microcosme audiovisuel français. Toute littérature – roman feuilleton, roman sentimental, fleuve, à l’eau de rose – recueille aussi quelque secret à nous révéler et j’en dirai bien quelques mots à l’occasion dans un article, ultérieurement, peut-être…
La littérature est semblable à une peinture ou au relief d’une sculpture. On y découvre ce mouvement si particulier qui n’appartient qu’à son auteur. Comme le style, attribuant sa marque de fabrique. S’il n’y a pas de style, il n’y a ni personnalité, ni caractère. Rien qu’un objet inerte devant lequel on s’ennuie à mourir. Pour faire le style, il nous faut l’alchimie. Ce mélange subtil que tout véritable écrivain possède et qui lui confère l’originalité, l’envie d’en lire davantage. Il y a un agencement si spécial…

– Entre les mots et les tournures de phrases
– les expressions
– les petites habitudes syntaxiques
– un certain usage de la ponctuation que l’on peut reconnaître…
Bon, c’est vrai aussi qu’il existe de véritables daubes… Mais j’ai rarement vécu une déception à l’issue d’une lecture, parce que je parviens souvent à récolter la quintessence, la matière résiduelle qui font la qualité d’un récit. Il peut s’agir d’une tournure, d’un paragraphe entier ou même d’un chapitre. Quand une phrase coule le long de la langue pour finir au fond de la gorge, c’est que l’auteur a su manier les mots avec une certaine finesse. Boris Vian ou Jean Giono accomplissent merveilleusement l’exercice. Mais il y en a tant d’autres…
La littérature peut nous faire vibrer par la richesse d’une prose mais aussi par son intrigue, par ce qu’elle a à nous révéler. Sans verser dans l’extrême et le ridicule – à l’image du film Le Pion, dans lequel l’élève ayant écrit une phrase obtient 18/20 à sa dissertation, alors que son camarade recueille au contraire une sale note, après avoir noirci 20 pages – une dizaine de mots peuvent parfois soulever davantage d’intensité qu’un paragraphe entier !
S’il y a du style, l’alchimie s’opère et on finit par ressentir la substance de l’oeuvre, un peu comme si on croisait le regard de l’écrivain, nous révélant finalement le miroir de son âme. C’est ce qui rend un auteur éternel. Une expérience traumatisante peut créer l’écrivain, tel que chez Giono auprès de qui la guerre a développé un sens aigüe de la prose.

Photothèque. (n.d.). LES AMIS DE JEAN GIONO.
Ses descriptions réveillent en moi une nostalgie imaginaire et une sensibilité aux odeurs. Le Hussard sur le toit suscite autant de pensées et de perceptions, car sa littérature parvient à rendre une scène vivante. On rêve éveillé… Si les mots me touchent, c’est parce que j’éprouve ce sentiment de proximité, comme si les pages distillaient la matière pourtant inerte, me permettant de l’effleurer. Là précisément, je mêle mon inspiration à celle de l’auteur… Je perçois légèrement sa flamme, édifiant son être.
3. Narcissisme : un recueil aux multiples facettes
Les écrits de Camille Gillet m’intéressent. Parce que j’y ai trouvé du style. Bon c’est vrai, j’ai vachement digressé pour en arriver à cette conclusion, mais ça valait l’coup non ? Et puis cela vous permet de recueillir mes réflexions, pour les prochaines fiches de lecture. Comme c’est un recueil de nouvelles et qu’il aborde plusieurs univers (elle nous le rappelle dans sa postface et sur le 4 ème de couverture), on profite d’une évasion différente, à chaque fois. La virtuosité de ses mots nous emmène vers des horizons lointains.
Précisons que ce rythme demeure un des point forts et fondamental de sa composition. L’ambiance se met au service d’une intrigue parfois très intense. Prémolaire et Rien n’est vrai constituent les deux nouvelles, particulièrement indiquées pour nous emmener dans un suspense palpitant, donnant l’envie de connaître le dénouement. Cela conforte ma satisfaction globale de l’oeuvre.
Le livre compte environ 140 pages et 9 histoires composent l’ensemble. Je me garde bien de résumer chacune d’entre elle, je vous laisse la surprise pour pas spoiler. Néanmoins, il y a de quoi détailler certains aspects. La première nouvelle – à mes yeux la plus importante – comporte des symboles demandant à être explorés.
Si vous avez lu le début sur Amazon, vous avez sans doute remarqué qu’il s’agissait d’un conte. J’avoue, ça m’a surpris. D’ailleurs vous en découvrirez les premières pages, en feuilletant la partie consultable en ligne. Mais évitez de considérer ce premier opus comme une représentation fidèle du recueil. Il apparaît tel la partie émergée de l’iceberg. Et je vous assure que le meilleur se trouve après. La boîte à outils littéraire de Camille Gillet est une petite merveille déployée au fur et à mesure que le recueil avance. On a donc droit à une série où le genre est disséqué.
– Le conte
– Le thriller
– Le fantastique
– L’aventure
– La fantaisie
– L’anticipation
Chacun possédant les ingrédients nécessaires pour être attaché à son thème littéraire. L’action, le vocabulaire, le style narratif, le registre de langue… tout y est pour varier et divertir notre lecture. Une idée revient souvent dans Narcissisme. Moins dans la dernière nouvelle. L’absence, la solitude, la mort et l’ennui. Sentiments omniprésents. Et à l’issue de la lecture intégrale du livre, un sentiment étrange de satisfaction mêlée à une tendresse à l’égard de l’auteur se dégagent.
Le conte s’ouvre sur une formule emblématique : « Il était une fois ». Locution adverbiale faisant écho à la morale figurant traditionnellement dans l’ultime page du récit. Cette expression narrative bénéficie d’un avantage pratique, puisque cela suspend le temps et ne s’embarrasse pas de la géographie. Toute référence en terme d’époque et de lieu est effacée au profit d’un univers merveilleux, où le récit aboutit à une morale, sa véritable finalité. Ce conte représente peut-être l’objet le plus important du recueil, car il il constitue une clef de compréhension de l’ensemble de celui-ci.
D’entrée, le conte ouvre l’appétit car il enchante le regard et s’emploie à délecter nos yeux de figures oniriques : la fée, la forêt fantastique, la magie, etc. En réalité, je vois Camille y dévoiler son histoire la plus intime, mais avec pudeur. Celle-ci se dissimule précisément derrière le genre. Le conte permet de montrer sans se dénuder, car il raconte une histoire personnelle de façon allégorique. On y lit en effet les péripéties d’une petite fille souhaitant enrichir sa vie de rencontres et d’aventures. Et je soupçonne l’auteur d’être celle-ci. Néanmoins, non… Cette solution me paraît insuffisante.
Elle peine à satisfaire mon analyse. Le récit révèle en fait plusieurs niveaux de lecture. L’histoire constitue d’abord une allégorie. Celle du personnage évoluant dans un parcours initiatique. Chaque étape lui permettant d’apprendre et d’étoffer son expérience. C’est en quelque sorte le chemin long et sinueux qu’éprouve un enfant au cours de son existence. Je pèse mes mots…
Il peut s’agir des plaies qui parfois souillent subitement notre quotidien. Lorsqu’il est semé d’obstacles, l’épreuve consiste à les dépasser pour grandir, devenir adulte, s’accomplir, puis enfin s’épanouir. C’est un rite de passage. On y perçoit le développement de quêtes. Cultiver la sociabilité, surmonter ses craintes, braver les dangers. Autant d’adversité à traverser : celles de sa vie.
Il était une fois, une petite fille aux cheveux chocolat qui vivait dans un charmant village isolé au centre d’une immense forêt de pins. Elle était charmante et aimante, mais parlait d'une langue étrange et aucun enfant ne voulait d'elle pour amie. (...). la petite fille pleurait chaque soir dans son lit, son oreiller pour seul confident.
Le voeu le plus cher, p. 7
Ce conte, désigne celui de l’auteur désirant nous transmettre des sentiments et des réflexions.
Ce conte représente également l’allégorie de notre propre quête. Il est possible d’interpréter certains passages, illustrant les difficultés du narrateur à faire face aux réalités cruelles de la vie. On l’imagine… Le plus important cependant, réside dans le caractère universel que le conte possède. Ce positionnement en ouverture du recueil ne relève nullement du hasard. L’auteur aurait d’ailleurs tout aussi bien pu le placer en conclusion du livre. En définitive, Camille Gillet désigne son propre lecteur, auteur et narrateur. Les 3 s’unissent et se confondent. Je dirai beaucoup plus…
Toi lecteur, peux t’identifier à la petite fille que l’on découvre au début du récit. L’histoire se résumant à son propre itinéraire.
Ce conte façonne un miroir où chacun peut y contempler son propre reflet.
Ce conte annonce toutes les nouvelles à venir.
Il aurait d’ailleurs pu s’introduire sous la forme d’un prologue voire d’une préface de l’auteur. Il s’agit véritablement d’une entrée en matière, un incipit. Là vous vous interrogez…
– Que nous dit-il ?
– De quels ingrédients est-il composé pour savoir s’adapter au profil de n’importe quel lecteur ?
La réponse : simple. Tellement évidente au terme du récit.
T’inquiète… Je ne spolierais pas (pas trop).
Car chacun, tout au long de sa vie, raconte une histoire à sa manière. Ce conte peut aussi bien coller à une personnalité connue, influente, aimée ou détestée, qu’à n’importe quel anonyme du monde.
Le plus bel aspect d’un conte, c’est qu’il soit de portée universelle. C’est-à-dire que le genre littéraire auquel il correspond soit justement capable de transcender
– toutes époques, cultures ou frontières et tout individu
On porte le saint-graal de ses ambitions. Charge à chacun de trouver le chemin malgré les embûches, lui permettant de le remplir. Le conte se détermine comme l’aboutissement d’une épopée et le début d’une autre. Sa portée symbolique nous touche. De l’illustre inconnu, à la star renommée. Du plus modeste, au plus riche.
Touché aussi par un geste libérateur (cathartique), lorsque le narrateur nous convie à regarder une larme coulant le long de sa joue (p. 16), au moment de tremper sa plume et d’écrire le début de ses aventures. Si l’auteur et la petite fille ne font qu’un, Il n’y a en effet rien de plus intense et de plus sensible que de regarder un écrivain exposer ainsi sa vérité. Comme disait Flaubert à Louise Colet à propos des lecteurs, c’est assez de notre coeur que nous lui délayons dans l’encre sans qu’il s’en doute (Correspondances, 1 er septembre 1852). J’ai une certitude : Camille ouvre son coeur à l’image d’un geste annonciateur.
Malgré tous les amis du monde dont elle bénéfice en nombre, par ses livres et ses lectures (p. 14), l’enfant demeure incomprise et « autiste » face aux autres. Le seul espace qui lui convienne ne peut provenir que de sa propre créativité et de son univers personnel.
Les larmes aux yeux, elle serra contre elle avec amour le cahier, et entreprit de dévisser doucement la bouteille d’encre. Elle trempa ensuite la plume puis inscrivit son nom et son prénom en haut de la première page, avant de frissonner (…). Elle ne savait pas ce qu'elle allait vivre encore.
Le voeu le plus cher, p. 16
Les sentiments de l’auteur nous sont dévoilés et se mélangent aux nôtres par empathie. La peur d’apposer son nom (« frissonner ») et l’univers inconnu auquel elle se soumettrait désormais (« elle ne savait pas ») symbolisent un voyage sans retour possible dans l’univers de l’imagination et du rêve. En marquant son nom de cette encre noire, elle repousserait pour toujours cette solitude, cette absence qui l’ont tant fait souffrir.
Camille Gillet constitue cependant un paradoxe. Pourquoi ?
Car comme je l’indique dans le titre de cet article, elle n’a peur de rien en publiant ses histoires, mais en parallèle, souhaite prévenir toute méprise envers sa personne, en s’excusant presque de vouloir partager ses écrits avec le plus grand nombre. Sur son site Achronique, on peut lire : « C’est pas un peu narcissique ? Si. Je le conçois. Si je poste, c’est que je pense que ce n’est pas si mauvais. Et je dois admettre que j’ai l’ambition de continuer. Deal with it ». Dit-elle, puis termine par ces mots : « Ça l’est d’ailleurs tellement que mon premier recueil de nouvelles s’est intitulé comme ça ».
En filigrane de ses articles, sa fiche d’auteur nous révèle qu’elle n’a « pour seule ambition que de donner du plaisir aux gens ». Sans vouloir tomber dans la psychologie de comptoir (mais je suis prêt à en discuter autour d’une bière bien fraîche – une blonde m’ira), cela m’a suscité les réflexions suivantes.
Le titre Narcissisme comporte deux niveaux de lecture. Observez l’illustration : une partie obscure, l’autre claire. Oui… j’ai bossé 🙂.
D’après Wikipédia : « Le narcissisme désigne l’amour de soi en référence au mythe grec de Narcisse tombé amoureux de sa propre image ». Être narcissique, c’est donc se valoriser avec exagération. Pourtant, le recueil dépasse le supposé égocentrisme que son auteur évoque en postface du livre. Bon les amis… On a compris qu’elle en joue. Elle cherchait un titre, puis a certainement dû se dire que cet adjectif collait parfaitement à sa démarche. En vrai, elle sait comme nous qu’il ne s’agit pas réellement de narcissisme. Mais la poésie que ce mot dégage et la nécessité de désigner son oeuvre, la convaincront. Maintenant, suivez-moi bien…
Camille Gillet nous propose de parcourir une galerie de personnage. Manière subtile de commenter le monde qui l’entoure. L’écrivain devient ainsi une éponge à émotions, absorbant les sensations et les pensées de son environnement pour mieux les restituer. La littérature se révèle alors comme l’outil idéal pour exprimer cette sensibilité. Le narcissisme doit en réalité s’envisager, non dans un sens péjoratif, mais plutôt comme un motif littéraire récurrent, interrogeant la perception de soi doublé du regard des autres. Chaque nouvelle représente ainsi autant de miroir déformant où le personnage entrevoit ses angoisses et sa solitude, face à la vie et à la mort.
Dans Rubrique Nécrologique, le narcissisme des uns entre en concurrence avec celui des autres. Monsieur Colignot – personage principal – considère la sépulture des Leduc avec mépris, reprochant le manque de simplicité. Mais la posture de celui-ci ne révèle pas moins d’un égo équivalent, en prônant une humilité supérieure (« À son tympan, les armoiries de la famille Leduc étaient sculptées finement, agressant le regard des proches venus se recueillir. Monsieur Colignot renifla de dédain »).
Face au monde moderne dans lequel il déambule, le narcissisme de Monsieur Colignot se trouve désarçonné. Son errance évoque une perte d’identité. Le personnage, autrefois agile dans un environnement familier, se découvre subitement invisible et insignifiant. La scène où il tente de traverser la porte vitrée du tabac-presse sans y parvenir (« Il se heurta violemment à la vitre sans pour autant produire le moindre bruit » P. 46) fait valoir cette dissonance. Celle-ci se renforçant, à mesure qu’il évolue dans un milieu de plus en plus hostile et de plus en plus ostentatoire.
Ce n’était absolument pas l’accusation d’adultère qui choquait le plus Monsieur Colignot, ni même les photos en elles-mêmes (les pamphlets à son époque étaient garnis de gravures pornographiques), non, pour ce catholique du 19e siècle, c’était l’absence du terme « mari » ou même « fiancé ». Manifestement, ces deux pêcheurs se fréquentaient en dehors des liens du mariage et forniquaient. Et si Monsieur Colignot n’était guère retord concernant la religion, il y avait des institutions auxquelles il tenait farouchement !
Rubrique nécrologique, p. 45
Dans Love me Tinder (L’Amour 2.0 dans la version Kindle), le regard institue un leitmotiv (« Quant à ses jambes, bien qu’on lui ait longuement assuré qu’elles étaient belles, elles n’étaient en rien aussi longues et galbées que celles des mannequins dans la salle »).
Illustration de Love me Tinder ou L’amour 2.0 P. 88, 89.
Lise se redressa vivement, lissa sa petite robe légère et passa la porte. Elle arriva dans une salle immaculée, aussi froide que design. Le bureau, laqué de noir, s’étendait au centre de la pièce en une forme asymétrique, mais parfaitement étudiée. Les fenêtres étaient nues, uniquement cerclées d’un métal brossé exagérément. Et les murs blancs, recouverts de papier de riz étaient décorés d’un unique kakemono japonais calligraphié. Un tabouret en fer forgé, dont les pieds laissaient le visiteur perplexe quant à sa stabilité, attendait.
Un lien social semble se tisser à partir de l’apparence, tout en conditionnant le jugement des autres (« je ne dois pas dépasser les mille calories par jour, Alfred, et que si je le fais, mon statut Facebook est immédiatement mis à jour pour que le monde entier le sache, bouda-t-elle »).
Son dialogue avec l’intelligence artificielle accentue ce contrôle permanent (« Mademoiselle Lise, vous savez très bien que cela figure sur la liste des aliments interdits »).
Cet univers quasiment-virtuel malgré l’entretien de Lise, suggère à quel point le narcissisme constitue un mode de fonctionnement général. Entre réseaux sociaux, téléphonie et intelligence artificielle, ce monde nous plonge dans une dystopie angoissante. L’aspect visuel régulé selon des conventions sociales sévères, s’imposent au détriment de l’authenticité. Mais après tout, ce récit n’a-t-il pas vocation à décrire notre monde réel, où la superficialité (filtre Tiktok) et la communication artificiel (OpenAI, Grok, Alexa) prennent de plus en plus d’espace dans notre quotidien ?
On pourrait encore développer davantage… Le narcissisme constitue dans le recueil un motif littéraire, dont le degré d’importance varie selon les nouvelles et prend différentes formes. Dans la version zombie (Molaire, Prémolaire, Amygdales), c’est l’optimisation neuronale qui déclenche le coeur de l’intrigue. Biocorps n’est d’ailleurs pas sans rappeler le projet en cours co-fondé par Elon Musk, Neuralink. L’amélioration du cerveau dénote là encore, cette volonté de toute puissance que les individus en quête de perfection recherchent. Dans un registre au ton plus léger, on prendra plaisir à découvrir la camaraderie dans une franche rigolade, où des pirates se mettent en scène en contant et comparant chacun leurs exploits.
Le recueil n’est pas tant le développement du narcissisme que l’angoisse d’un avenir incertain. Les personnages tentent de se définir dans un monde, où le regard agit comme un révélateur de leur solitude et peut-être de la nôtre… Le narcissisme que l’auteur évoque projette une part d’ombre et une part de lumière. La première renvoie à la détresse que vivent les acteurs au cours de l’intrigue. La seconde suppose une lueur d’espoir après le désenchantement. Mais cela, vous devrez le découvrir et juger, en lisant le recueil…
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Fethi Hachemi explore la littérature et l’écriture. Il présente également des auteurs contemporains méconnus de la toile. À travers George Sand et les écrivains du XIX ème siècle, il vous invite à découvrir une époque autant révolutionnaire que bouleversante.