Indiana de George Sand : roman clé sur la condition féminine
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Indiana de george sand

Indiana : aux origines de l’émancipation féminine et de la critique sociale par George Sand

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J’ai refermé une dernière fois Indiana, oeuvre littéraire majeure du XIXe siècle. Aurore Dupin signa ce premier roman sous le nom de George Sand. Celle-ci allait devenir éternelle parmi les grandes figures de la littérature. Quelques heures de lecture et de réflexion ont obscurci mes yeux. Lassés, éreintés, mais avec la satisfaction d’être mieux éclairé sur mon époque.

 

© georgesand.be

Lire des oeuvres du 19ème siècle contribue à notre compréhension du présent. Et à faire le lien avec notre avenir. Laisse-moi te dire à présent, deux ou trois choses importantes à propos de littérature et d’histoire. Elles donne des clefs et permettent au lecteur de mieux comprendre les finalités d’un récit. De mieux saisir les subtilités. Précisons d’emblée que la Dame de Nohant, se trouve à la croisée des chemins d’un monde en ébullition.

Au-delà du fait que ce soit la première femme à vivre de ses écrits, George Sand participa de près et de loin aux évènements ainsi qu’aux réflexions de son époque. Indiana représente d’abord l’aboutissement d’une première vie. Celle d’une jeune mariée souhaitant gagner en indépendance. Aurore Dupin n’a pas encore 30 ans. Elle possède une double appartenance. Rappelons sa filiation roturière par sa mère et noble par son père.

Une certaine éducation bourgeoise qui façonna son enfance, Son mariage avec le baron Dudevant lui ayant donné la détermination. Celle de devenir une femme libre. Prête bien attention à ce que je vais dire

 

Jean-Baptiste Santerre, Jeune fille lisant une lettre à la bougie, vers 1700, Musée des beaux-arts Pouchkine

Malgré le confort de son patrimoine bourgeois, elle veut obtenir l’émancipation par la plume. Son constat amer par rapport à la place de la femme en société, l’amena peu à peu à se questionner sur ses contemporains, d’où qu’ils soient.

 

Indiana constitue à ce titre le début d’un cheminement et d’une vaste méditation sur le monde qui l’entoure. Et donc ? Quelle réflexion cela devrait-il susciter à nos yeux ? Eh bien, cela peut nous interroger quant à la place de la femme à travers les siècles. Ouvrons le bal avec le 19 ème, d’une part, puisque qu’il s’agit de celui du roman. Dans un autre article, nous verrons d’autre part quel fut le long et fastidieux parcours des femmes, pour gagner progressivement leur émancipation grâce à l’école.

Huile sur toile, Matin, Edvard Munch, 1864, Kode art museum, Bergen.

Indiana est une oeuvre qui marqua son temps. Très vite, on sut que derrière le pseudo George Sand, se cachait la femme Aurore Dupin. Le jeune auteur ne l’avait d’ailleurs jamais nié ni caché.

 

Les raisons tiennent plus à de l’efficacité éditoriale, qu’à l’idée de vouloir se dissimuler sournoisement. Indiana est également essentiel en raison des thèmes abordés. En effet, ce roman surfe entre politique et social. Les sentiments et les passions amoureuses que l’oeuvre présente, ne sont que le vernissage nécessaire, à un public friand de romance mêlée à de l’intrigue. Lire Indiana, c’est d’abord inscrire l’oeuvre dans une période mouvementée.

 

La carrière du l’écrivain prend ainsi naissance pour se terminer en 1876, à son décès…

 

 

 

 

Le contexte

1. De la Révolution

Une note dissonante devrait néanmoins réveiller vos doutes. Celle provenant d’autres femmes. En remontant à la première révolution – oui… La Révolution française de 1789, celle que tout le monde connaît – Évoquons ainsi Olympe de Gouges.

Sa tête tranchée nous fera admettre bien plus tard, qu’une vraie révolution – si c’est une révolution – est une idée, passant systématiquement par trois phases.

 

Au début on la considère comme ridicule.

Ensuite comme dangereuse. Enfin, l’idée ayant poursuivi son chemin, tous finissent par admettre son caractère évident (citation que l’on prête généralement à Schopenhauer). 

 

La liberté des Femmes était bien une révolution des esprits. Olympe de Gouges finit sur l’échafaud, car Madame avait des prétentions trop exotiques pour l’époque : rédiger les droits de la femme, à l’égal de l’homme. C’en était trop…

 

Et malgré le prétexte pour lequel celle-ci fut condamnée à la peine capitale, on notera que l’un de ses plus fervents opposants – Pierre-Gaspard Chaumette – se réjouira que la guillotine ait mis fin à cette immoralité. Nous sommes en novembre 1793. 

La femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes… Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois. Et vous voudriez les imiter ? Non ! Vous sentirez que vous ne serez vraiment intéressantes et dignes d’estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes.

2. Au XIXe siècle

profil Flora Tristan

Perrassin, Paris Musées, 1844.

Il y aussi Flora Tristan, qui pendant la première moitié du siècle, fut une militante très engagée sur le terrain. De la France au Pérou, et sur toutes les routes du pays, Flora voulut fédérer le peuple ouvrier. Ayant vécu une expérience malheureuse en raison d’un mari violent, elle composa l’Émancipation de la Femme et l’Union ouvrière. Morte à un âge précoce. 

 

Flora, Olympe, George… Et tant d’autres. L’injustice sociale des hommes et des femmes fut leur combat quotidien

 

Voici des femmes au destin distinct. Le refrain de la liberté dans le sang, mais que seules Flora et Olympe ont véritablement porté sur le terrain.

 

Ce qui ne retire en rien les qualités humaines d’Aurore Dupin, que la postérité, retiendra – à tord – comme la seule figure de l’émancipation féminine.

 

Mais quelque soit le mode d’action privilégié, elles se sont toutes investies en faveur d’une amélioration des conditions sociales des deux sexes. 

 

Ne limitons pas le champ d’action de ces intellectuelles engagées aux femmes. Hormis Olympe de gouges, Flora Tristan et George Sand ont régulièrement lié leur réflexion à la condition des hommes, notamment celle des ouvriers.

 

Elles n’ont pas essentialisé la femme. À juste raison d’ailleurs. George Sand refusait de voir la femme uniquement sous le prisme d’un genre opposé frontalement à celui des hommes.

 

Il semble exister une ambivalence dans la réflexion de George Sand. Entre le fait que les hommes soient par essence patriarcale, ou qu’ils soient conditionnés par un système empirique les empêchant de voir la femme comme un véritable partenaire social. Et que finalement, seule l’éducation les libèrera d’une mentalité contraignante. L’éducation qui justement constitue le point essentiel, sur lequel devront s’appuyer hommes et femmes pour les libérer du carcan oppresseur de l’époque. 

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3. Quelques remarques préliminaires sur le roman du

XIXe siècle

femme lisant dans un interieur Carl Holsoe

Femme lisant dans un intérieur, Carl Holsoe, non daté (détails)

Indiana propose une nouvelle lecture de son époque. L’auteur nous montre comment la femme est ballottée selon le caractère et l’humeur des hommes.

 

On joue avec des sentiments. La femme est fragilisée, car elle ne dispose pas d’une instruction suffisante. Malgré les changements institutionnels, elle reste le jouet plus ou moins inconscient

 

 

  • d’un mari
  • d’un amant
  • du pouvoir politique

 

Bref, de la Société.

 

Lire un roman du 19 ème siècle est agréable à condition d’avoir une idée assez fidèle des évènements politiques et sociaux.

 

Sans rentrer dans les détails, Imagine-toi un instant en 1830. En 40 ans, la France connaît pas moins de 6 régimes.

 

On est passé de la Première République au Premier Empire. 

 

Pour aboutir finalement à une Monarchie restaurée. 

 

Mais très fragilisée en raison des tensions internes de chaque camp politique : Légitimistes, Orléanistes…

 

Tu comprendras leurs revendications en consultant les fiches Wikipédia, mais assez inutiles ici pour la compréhension d’Indiana.

 

george sand ecrit

© Les Enfants du siècle, Diane Kurys, Alain Sarde, 1999

Mais dans tous les cas, je vais te rappeler ce qu’est globalement un roman au XIX ème siècle et ce qu’il peut représenter par rapport à nous, enfants du XXI ème.

  • Longues descriptions
  • Vocabulaire précieux
  • Tournures de phrases complexes avec des temps de conjugaisons complètement dépassés…

 

Je vais te dire autre chose…

 

On aurait tendance à croire que les gens du 19ème siècle parlaient comme ils écrivent.

 

Car notre imaginaire réduit la vie d’autrefois à la cour, aux nobles et aux bourgeois…

 

Mais de nombreux facteurs influencent notre manière de parler. Notamment l’éducation, le niveau de vie, les rapports individuels et hiérarchiques.

 

La socio-linguistique entre également en compte pour évaluer la façon dont devaient se parler les gens.

 

Le registre de langue est essentiel. On parle pas de la même façon à ses parents qu’à son supérieur hiérarchique…

 

Ce qui est sûr, c’est qu’on perçoit à la lecture d’un texte de cette période, une préciosité, un soucis du détail et une richesse du vocabulaire qu’on a moins actuellement.

 

Il s’agit d’un sentiment, non forcément de réalité. Car notre littérature contemporaine dispose aussi – avec son propre style – d’une richesse. 

 

À ce propos, George Sand rapporta dans Histoire de ma vie ce que sa mère lui avait dit concernant ses écrits.

 

 

On envoya à ma mère une de mes descriptions pour lui faire voir comme je devenais habile et savante : elle me répondit : « Tes belles phrases m’ont bien fait rire, j’espère que tu ne vas pas te mettre à parler comme ça. » Je ne fus nullement mortifiée de l’accueil fait par elle à mon élucubration poétique : je trouvai qu’elle avait parfaitement raison, et je lui répondis : « Sois tranquille, ma petite mère, je ne deviendrai pas une pédante, et quand je voudrai te dire que je t’aime, que je t’adore, je te le dirai tout bonnement comme le voilà dit. »

George Sand, Histoire de ma vie, Wikisource

© georgesand.be

 

Sand, G. (1970). Œuvres autobiographiques. Editions Gallimard, collection Pleiade (1970, p. 808)..

 

Nos ancêtres du 19ème avaient également conscience de cette préciosité ! Loin d’être ignares, loin s’en faut. 

 

Malgré tout, la langue évolue. Elle se transforme notamment en raison de nos avancées techniques.

 

Je rajouterai que de toute manière, un livre est un objet de souffrance pour de nombreuses personnes. Et il le sera d’autant plus si le livre date des siècles précédents. Si tel est ton cas, évite d’insister. Cela dit, je t’encourage à dépasser au moins quelques pages pour voir si les mots parviennent à captiver ton attention… 

 

De nos jours, l’action du roman est systématiquement associée à la description. Pour traduire une fluidité. Une intrigue efficace se veut percutante.

 

Voilà… Passons au roman. J’ai souhaité t’apporter quelques éléments préliminaires car il s’agit du tout premier article du site consacré à une oeuvre entière.

 

Nous avons planté le décor. Il est temps d’aborder la première oeuvre publiée sous le nom de George Sand. Pour ma part, j’ai adoré l’histoire, la narration, le détail des descriptions. Également l’issue qui m’a parue surprenante.

 

 

 

Indiana : intrigue, romance et passion

1. Résumé

Une femme au coeur de La Brie (Pays naturel à cheval entre l’Île de France et le Nord), vit avec son mari beaucoup plus âgé et son cousin. Son histoire est alors ponctuée par les passions, l’amour et la galanterie des hommes.

Suite à une succession de péripéties, d’infidélité, de violence, de mort et de trahison…

SPOIL! – En cliquant sur le bouton vide, tu dévoileras la fin de l’histoire. 

Indiana et Ralph mèneront une existence paisible, retirés de la fureur des Hommes et de la civilisation, sur l’Île Bourbon (actuelle Réunion).

2. Début

Par une soirée d’automne pluvieuse et fraîche, trois personnes rêveuses étaient gravement occupées, au fond d’un petit castel de la Brie, à regarder brûler les tisons du foyer et cheminer lentement l’aiguille de la pendule.

 

Ainsi débute le récit. Ou incipit, si je veux m’la jouer savant littéraire. Ça revient au même. Mais comme dit François Bégaudeau

 

l'incipit, on sait quand ça commence, on sait jamais quand ça finit.

Bégaudeau, F. (2008). Antimanuel de littérature.

 

On va donc dire que l’incipit se termine juste avant le premier dialogue, soit l’intervention du Colonel, Monsieur Delmare, époux vieillissant d’Indiana, jeune femme qui se révèlera fragile. On apprendra plus loin dans le récit qu’elle est Créole et originaire de l’Île Bourbon, actuelle Île de la Réunion.

 

Nous sommes d’emblée suspendus à une scène dont l’ambiance générale se veut pesante et terne (« lentement », « gravement »).

 

L’atmosphère devient même de plus en plus lourde, à mesure que le récit avance dans ce premier chapitre.

 

On ressent l’ennui.

 

Le temps long.

D’autant plus lent… Que le narrateur nous offre par ses délicates descriptions, l’impression de contempler un tableau figeant les protagonistes dans leur postures désolantes.

 

L’histoire commence donc dans un salon d’une maison de maître bourgeoise de la campagne, avec sa cheminée éclairant par une fine lueur, nos trois principaux personnages.

© georgesand.be

On découvre Indiana l’héroïne, le colonel Delmare son mari, ainsi que le jeune Ralph Brown, garçon dont on ignore au début quel rôle il occupe véritablement entre les deux époux.

 

George Sand souligne l’injustice, dû notamment aux aspects politiques et sociaux. Ce déséquilibre entre hommes et femmes pourrait-on dire, s’illustre à travers une galerie de personnages, dont chaque caractère nous donne l’idée de son épanchement.

 

PersonnagesPrésentation
IndianaLe personnage phare du roman. Elle est jeune, mariée à un homme beaucoup plus âgé.
NounUne des domestiques du domaine, amie d’enfance d’Indiana.
Monsieur DelmareAncien militaire durant le Premier Empire. Il voue une admiration pour Napoléon.
Ralph BrownCousin d’Indiana. Il vit dans le domaine en compagnie du couple. On apprendra au cours du récit les raisons pour lesquelles ils habitent ensemble.
Raymon de RamièreL’entrée en scène sera assez brutale. Personnage se révélant au fil de l’histoire goujat et lâche. Un homme n’ayant pas le courage de ses ambitions.

 

2. Style littéraire

 

Pour connaître le style littéraire d’Indiana, plusieurs pistes s’offrent à toi. Il ne s’agit pas juste d’analyse stylistique sans fondement ni raison (dans les dîners mondains, tu pourras la placer au bon moment, ça fera chic 🙂).

En fait, il s’agit surtout de t’inspirer.

 

Ce que le style littéraire peut nous apprendre, constitue une source de connaissance qui peut décupler ta créativité.

 

Ta vision du monde. Le style contribue également à nous donner du plaisir.

C’est donc intéressant de découvrir ce que ce roman va t’apporter.

vous inspirer du style litteraire

La Princesse de Clèves au 18ème siècle et notamment Chrétien de Troyes au Moyen âge avec Les Romans de la Table ronde désignent des références incontestables du roman moderne. On sait que celui-ci tel que nous le connaissons, atteint son apogée pendant le 19ème siècle. C’est le plus proche de nous.

 

Les auteurs ont alors adopté le Romantisme et le Réalisme comme l’expression idéale de leurs oeuvres. Plus tard, le naturalisme accentuera cette quête d’une littérature « pure », se voulant plus proche de la réalité qu’elle ne l’a jamais été auparavant. Zola en a été le principal représentant. Il est cependant admis que c’est Madame Bovary qui demeure la référence internationale incontestée du style réaliste.

Romantisme : des sentiments exaltés

Indiana – comme tous les romans qui suivront – échappe à la désignation d’un style particulier.

 

On discute, on remet en question son style en lui attribuant çà et là une école, un genre particulier.

 

Modestement (oui… restons modeste), je considère George Sand comme un auteur mêlant réalisme doté d’une inspiration romantique.

 

Une école littéraire n’est en fait jamais isolée. Elle appartient à un vaste courant dans lequel on y retrouve différentes formes artistiques, dont la plus emblématique est la peinture. Cette dernière établit un lien puissant avec l’oeuvre romanesque.

 

Les écrivains tentent d’exprimer avec des mots ce qu’une oeuvre picturale est capable de montrer. Il y a chez eux une telle recherche de créativité et de musicalité, que l’on peut visualiser une scène et en ressentir l’atmosphère.

 

Cette approche définit le Romantisme. Car celui-ci a pour but de faire jaillir des sentiments profonds.

 

Les émotions se partagent entre narrateur, personnages et lecteur 

 

 

  • tristesse
  • mélancolie
  • joie
  • bonheur et encore bien d’autres humeurs 

 

Romantisme : une prosodie

George Sand tente de traduire dans la scène suivante, l’image d’un tableau romantique en prenant Rembrandt comme référence. Rappelons à cet égard que Sand était sensible à cet art et que Delacroix était d’ailleurs l’un de ses amis, ayant réalisé son portrait.

 

Le narrateur indique explicitement au tout début du paragraphe la présence d’un tableau.

Portrait de George Sand 1834 – Musée Delacroix.

Je t’invite à lire ce passage.

 

Il y avait peut-être le sujet d’un tableau à la Rembrandt dans cette scène d’intérieur à demi éclairée par la flamme du foyer. Des lueurs blanches et fugitives inondaient par intervalles l’appartement et les figures, puis, passant au ton rouge de la braise, s’éteignaient par degrés ; la vaste salle s’assombrissait alors dans la même proportion.

 

Note comment les différentes expressions parviennent à s’inscrire dans un champ lexical appartenant à la lumière.

 

« demi-éclairée », « flamme », « lueur, « s’assombrissait ».

 

À cette profusion de jour d’une vivacité plus ou moins présente, s’oppose de grands motifs s’éloignant vers l’obscurité, comme avec l’un des plus importants personnages du roman, le Colonel (« … M. Delmare, en passant devant le feu, apparaissait comme une ombre et se perdait aussitôt dans les mystérieuses profondeurs du salon »). 

À chaque tour de sa promenade, M. Delmare, en passant devant le feu, apparaissait comme une ombre et se perdait aussitôt dans les mystérieuses profondeurs du salon. Quelques lames de dorure s’enlevaient çà et là en lumière sur les cadres ovales chargés de couronnes, de médaillons et de rubans de bois, sur les meubles plaqués d’ébène et de cuivre, et jusque sur les corniches déchiquetées de la boiserie.

 

Les verbes nous permettent d’imaginer des zones plus sombres et des nuances.

 

« s’éteindre », « s’assombrissaient », « apparaissait ».

george de la tour clair obscur

Huile sur toile, La Madeleine à la veilleuse, Georges de La Tour, vers 1640, 1645, Département des peintures du musée du Louvre, Paris.

L’ensemble est orchestré dans un mouvement de va-et-vient avec la lumière s’apparentant à un jeu de clair-obscur, cher aux peintres du 17ème siècle.

Enfin, la présentation du salon bénéficie d’un vocabulaire particulièrement ciblé.

 

Mais lorsqu’un tison, venant à s’éteindre, cédait son éclat à un autre point embrasé de l’âtre, les objets, lumineux tout à l’heure, rentraient dans l’ombre, et d’autres aspérités brillantes se détachaient de l’obscurité.

 

Avec la musicalité des mots, on crée un environnement alternant la douceur des personnages ou leur dureté.

 

Ainsi l’on eût pu saisir tour à tour tous les détails du tableau, tantôt la console portée sur trois grands Tritons dorés, tantôt le plafond peint qui représentait un ciel parsemé de nuages et d’étoiles, tantôt les lourdes tentures de damas cramoisi à longues crépines qui se moiraient de reflets satinés, et dont les larges plis semblaient s’agiter en se renvoyant la clarté inconstante.

 

Les moments d’amour et de passion, de violence et de mort.

 

Ainsi, le son [ʁ] tend à donner plus de rigidité (« dorures », « couronnes », « ruban », « rouge », « braise »). Alors qu’au contraire, une occlusive comme le [t] atténue de par son oralité.

 

[p], [l], [m] et [n] se succèdent contribuant à donner une atmosphère fluctuante (« plafond », « parsemé », « étoiles », « damas », « reflets satinés »).

 

La tension varie (« tantôt »).

 

On la ressent au fil des allées et venues de Monsieur Delmare.

 

Le rythme s’adoucie ou prend de l’ampleur (« lames », « médaillons », « meubles », « ébène », « satinés »).

 

L’entrée de M. Delmare dans la pénombre et son retour à la lumière s’associe à des termes liés à la violence (« déchiquetées ») ou à l’idée d’un retrait (« détachaient »), d’une image négative (« cramoisie », fait écho à au terme évocateur de « moisi »). 

 

Une tension palpable prend place. En employant avec justesse la prosodie, le narrateur nous annonce en quelque sorte les forts moments d’intrigue.

 

Lumière, obscurité et chaleur sont les allégories d’une ambiance tendue qui augmentera au fur et à mesure que le récit avance. 

 

Il s’agit d’une scène magnifique que seuls de grands romantiques comme George Sand, Alfred de Musset ou Flaubert (cf Salammbô) maîtrisent avec brio.

 

On a un déferlement de sentiments qui font vibrer une scène.

Réalisme

Parlons maintenant du réalisme. Qu’est-ce que je pourrai bien t’en dire ?

Ma réflexion à ce sujet rejoint globalement celle de Flaubert qui écrivait dans l’une de ses lettres, adressée à une certaine Madame Roger des Genettes, à propos de Madame Bovary.

 

(...) On me croit épris du réel, tandis que je l'exècre; car c'est en haine du réalisme que j'ai entrepris ce roman.

Gustave Flaubert, Correspondances, Quatrième série, Octobre ou novembre 1856, Gallica

 

C’est – entre autres – là qu’on se rend compte que Flaubert est loin de vouer une passion du réalisme. C’est dans ce champ que l’on a coutume de considérer l’auteur de Madame Bovary comme le maître en la matière. En réalité, il s’agit d’un vaste sujet que l’on devra discuter ailleurs au demeurant, mais qui montre qu’on a une habitude – nous Français – depuis bien longtemps, celle de systématiquement ranger les gens dans des boîtes. Ce qui me fait penser au passage à la chanson Little boxes de Melvina Reynolds (oui, je digresse, c’est mon côté autiste 😉).

 

Nous ressentons le besoin de créer des catégories pour chaque parcelle de l’humanité.

 

Le réalisme comme le romantisme ont suscité de grands débats. Cet engouement vient du fait que la littérature commencera à prendre de l’ampleur au 19ème siècle. Devant les progrès de l’imprimerie et le succès que les périodiques rencontrent, la littérature se diversifie et commence à être plus proche des lecteurs.

 

Elle décrit son environnement, elle le sublime, elle en raconte des histoires. Ce qui propulsera le roman moderne à son apogée.

 

On a le soucis de la description la plus exacte de la réalité. Or Flaubert, Maupassant, Balzac et bien d’autres auteurs se servent de la littérature pour donner de l’émotion au lecteur, tout en s’autorisant à faire une critique de la Société.

 

On a donc d’une certaine manière de grandes tendances qui prennent forme dans leurs oeuvres. Si Indiana est plus réaliste que par exemple Laura, Voyage dans le cristal, il n’en utilise pas moins des motifs et des descriptions répondant à la définition du romantisme. 

 

Quoi qu’il en soit, on peut se sentir dépassé par toutes ces écoles littéraires. Je te fait grâce du Symbolisme et du Parnasse.

 

Il y en aurait tant à dire sur le style littéraire, qu’il faudrait consacrer à tous ces mouvements, un article entier. Des discussions à n’en plus finir. 

 

Retiens seulement que George Sand à l’image de Flaubert, ne peut être cantonnée dans une catégorie. C’est mon sentiment profond.

Elle peint avec réalisme sa Société pour faire appel à notre réflexion

Elle fait un usage poignant de romantisme pour que l'on soit touché par la justesse de ses sentiments

L’Inégalité des sexes : entre fragilité féminine, et domination masculine

D’emblée, la préface de l’auteur permet de connaître la position de l’auteur sur le contenu du roman. Elle nous éclaire sur son but et sa finalité. George Sand en a réalisé deux. Présentant au public les raisons profondes de son écriture.

Elle en fit une nouvelle à l’occasion de la réédition de 1852. L’auteur nous explique qu’Indiana se veut une dénonciation du statut entre homme et femme, mettant en cause l’institution et les lois morales qui la gouvernent. Elle souhaite par ailleurs susciter le débat et réveiller les consciences.

Lorsque j’écrivis le roman d’Indiana, j’étais jeune, j’obéissais à des sentiments pleins de force et de sincérité, qui débordèrent de là dans une série de romans basés à peu près tous sur la même donnée : le rapport mal établi entre les sexes, par le fait de la société.

 

Indiana ouvre une littérature engageante et non divertissante de la part de Sand.

 

Le narrateur espère qu’après avoir écouté son conte jusqu’au bout, peu d’auditeurs nieront la moralité qui ressort des faits, et qui triomphe là comme dans toutes les choses humaines

George Sand, Préface d’Indiana, 1852

 

Le récit montre que la situation féminine reste sensiblement la même quelque soit la situation politique du pays. Chaque personnage relève d’une allégorie. C’est là que le talent littéraire de George Sand entre en scène.

 

En soumettant au lecteur des personnages complexes, elle nous propose de méditer sur les difficultés auxquelles le pays doit faire face, s’il fallait évoluer sur cette question. L’éducation reste évidemment le sujet essentiel, le point majeur de l’émancipation de la femme. Mais l’éducation soulève également celle de l’autre sexe. Les deux sont liées.

 

George Sand n’essentialise pas l’un ou l’autre et n’hésite pas à souligner la fragilité du genre masculin.

 

– Elle commente à ce titre les péripéties de ses personnages
– présente parfois longuement les raisons d’une situation tragique et absurde
– dénonce les travers d’une Société malade, dont les victimes seraient finalement femme et homme

 

Ce qu’il faut retenir d’Indiana et qu’on apprécie tout au long du roman, c’est la nuance

 

pour la première fois de sa vie, il supporta son mal avec douceur et témoigna à sa femme de la reconnaissance et de l’affection.

 

Celles-ci nous protègent des généralités. L’homme est parfois décrit en victime. George Sand évite de l’opposer frontalement à la femme. Il peut alors se présenter sous un jour favorable pouvant émouvoir le lecteur et l’inviter à saisir la complexité des relations.

 

Le statut social de la femme s’efface, puisqu’Indiana bénéficie du confort de la bourgeoise, au contraire de Noun, domestique au service de l’héroïne. Deux femmes qui connaîtront pourtant l’une et l’autre la fureur, la lâcheté et la cupidité d’hommes sans scrupules, et profitant de leur fragilité.

 

Et là attention.

 

Deux femmes vulnérables, non parce qu’elles sont femmes.

 

Mais parce qu’elles manquent d’éducation et d’indépendance. George Sand dénonce les hommes, le couple et même pourrait-on dire, la famille comme autant de prisons reléguant la femme à un simple corps balloté entre les mains des différentes institutions. 

 

Elle simplifie pourtant dès les premières pages genre masculin et féminin. Le narrateur livre en effet une dichotomie nette entre les deux sexes, avec une dualité illustrant « la gentille dame » et « le méchant monsieur ».

 

C’est vrai dans une certaine mesure seulement. Parce que cette réduction finira progressivement par s’estomper au profit d’une relation plus nuancée entre les personnages.

Etat, Religion et famille entrainent à eux trois l’asservissement de la femme comme on peut le discerner tout au long du roman.

 

Trois institutions. Trois carcans auxquels George Sand ne dut son émancipation que par son éducation (merci grand-mère), la bibliothèque du foyer et l’écriture. Elles ont forgé son caractère et l’on érigé en femme libre, sur le plan spirituel et financier.

 

Les femmes du XIX ème siècle ont été doublement asservies. D’abord avec les lois de Napoléon et le code civil la reléguant à un rang inférieur à l’homme dans de nombreux domaines.

© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

 

Ensuite par le travail, qui comme on le sait – ou devrait-on le savoir – ne l’a pas libérée, mais au contraire contrainte à exercer une activité salariale, dans la mesure où l’on a vu naître les ouvriers, nouvelle population issue du monde rural, ayant perdu de nombreux avantages acquis durant l’Ancien Régime, malgré l’abolition des droits féodaux.

 

Une femme travaille à la mine non par choix mais par obligation. Ce qui n’était pas le cas avant le 19 ème siècle, dont les ressources du mari pouvaient généralement suffire à entretenir la famille. 

George Sand sème progressivement ses pensées, soit par allegories, soit en intervenant directement comme narrateur et en posant franchement ses opinions.

 

Je sais que je suis l’esclave et vous le seigneur. La loi de ce pays vous a fait mon maître.

On sent un souvenir du code napoléon :

– le mari était le chef du foyer, et les femmes devaient lui obéir (article 213)

– Le mari avait un droit de contrôle sur les biens de sa femme, y compris les biens qu’elle possédait avant le mariage

– Une femme ne pouvait pas signer de contrat ni engager de biens sans l’autorisation de son mari (article 215)

 

Ceci n’étant qu’un échantillon du vaste corpus régulant les droits de citoyenneté de la femme. Note que celle-ci était également interdite d’exercer les professions publiques ou politiques, et leur participation à la vie économique était fortement restreinte.

 

Par ailleurs si le sujet vous intéresse, je vous encourage à regarder de plus près les tenants et aboutissants du code Napoléon. Inutile de préciser qu’il serait fort présomptueux de ma part de vous résumer celui-ci en deux ou trois lignes…

 

Le Code Napoléon est beaucoup plus nuancé – on y revient – que ce que l’on peut y lire sur la toile. Certes, les femmes possédaient moins de liberté si on prend les lois dans leur totalité. Faut-il préciser que ce sont les hommes qui les ont écrites ? Des dispositions avaient en revanche été prévues pour aménager les limites qui leur étaient imposées.

 

D’une façon générale, la femme doit obtenir l’autorisation de son mari concernant certains actes de la vie civile. Mais en cas de recours, le juge avait le pouvoir de trancher la question en faveur de la femme. Le mari bénéficiait donc d’une suprématie, mais certainement pas totale et dans une anarchie sans nom.

 

Ces lois ont tenté de donner un certain équilibre à la vie de couple, néanmoins elles reflètent ce tiraillement entre institutions, que dénonce justement George Sand. Refermons la parenthèse napoléonienne.

 

Au cours de l’histoire, le narrateur dépeint les hommes comme des êtres se rendant stupides par l’expression de leurs sentiments. Elle pointe au fond par une allégorie subtile, l’oppression des institutions envers les femmes.

 

Raymon s’assit auprès d’elle. Il avait cette aisance que donne une certaine expérience du cœur ; c’est la violence de nos désirs, la précipitation de notre amour qui nous rend stupides auprès des femmes. L’homme qui a un peu usé ses émotions est plus pressé de plaire que d’aimer. Cependant M. de Ramière se sentait plus profondément ému auprès de cette femme simple et neuve qu’il ne l’avait encore été. (...)

Monsieur de Ramière symbolise en quelque sorte les lois et la morale agissant pour le bien commun et en premier lieu celui des femmes, mais qui profite malgré elles de leur naïveté par manque d’instruction et donc de caractère.

Mais l’habitude acquise auprès des autres donnait à ses paroles cette puissance de conviction à laquelle l’ignorante Indiana s’abandonnait, sans comprendre que tout cela n’avait pas été inventé pour elle.

 

En pratiquant l’éloquence, le pouvoir masculin – soit l’Etat –  se pare d’intentions à priori louables, néanmoins délétères, dans la mesure où ces dernières privent les femmes d’une liberté équivalente à celle des hommes.

 

En général, et les femmes le savent bien, un homme qui parle d’amour avec esprit est médiocrement amoureux. Raymon était une exception ; il exprimait la passion avec art, et il la ressentait avec chaleur. Seulement ce n’était pas la passion qui le rendait éloquent, c’était l’éloquence qui le rendait passionné.

 

Au-delà de la naïveté féminine qu’évoque George Sand, elle n’oublie pas au cours de l’intrigue d’y associer également certains hommes, moins avides, moins puissants, mais qui se laissent aussi entrainer dans ce mouvement, qui par faute de moyens d’expression, voient la porte de l’oppression se refermer sur eux.

 

il l’accablait du poids de son éloquence ; il mettait en œuvre toutes les ressources de son talent, et Ralph, étourdi, lent à rassembler ses idées, plus lent encore à les exprimer, subissait la conscience de sa faiblesse.

 

L’auteur ne manquera d’ailleurs pas d’apprécier ces hommes de bonne volonté comme Ralph, en faisant la part des choses entre honnêteté spontanée et rhétorique, outil dont se servent les puissants pour mieux asservir leur semblables. Voir ou revoir Ridicule de Patrice Leconte…

 

Le plus honnête des hommes est celui qui pense et qui agit le mieux, mais le plus puissant est celui qui sait le mieux écrire et parler.

 

Cette nuance illustre l’ambivalence que j’introduisais en début d’article (dernier paragraphe du titre 1 « Contexte »).

L’ambivalence de George Sand : entre critique des oppresseurs et compassion pour les victimes

 

Un rythme apparaît au fil du récit. Les hommes oscillent entre deux perspectives. Celle de bourreau et celle de victime. Une antithèse flagrante que George Sand semble se plaire à mettre en scène afin de révéler l’absurdité des inégalités.

 

Dans Indiana, on retrouve un mari, un cousin, un amant. Trois hommes qui montreront un comportement animé par le patriarcat. Lequel n’ayant de finalité que l’autorité sur le sexe féminin, qu’il soit nourri de violence, ou imprégné au contraire d’un discours généreux.

 

Comme on l’a vu sur quelques extraits, ce patriarcat, cette domination pourrait-on même dire, se manifeste dans toutes les sphères de la Société : politique, familiale, sociale, religieuse. Et c’est ce qui ponctue le récit soit dans des moments de tensions extrêmes, 

 

 

Alors, sans pouvoir articuler une parole, il la saisit par les cheveux, la renversa, et la frappa au front du talon de sa botte.

 

soit lors de situations plus calmes, mais non moins révélatrices d’une culture de l’oppression ou d’un paternalisme condescendant. 

 

 

Elle avait été élevée par sir Ralph, qui avait une médiocre opinion de l’intelligence et du raisonnement chez les femmes (...).

 

Précisons au passage que si George Sand considère la femme ignorante, naïve révélant à certains égards une fragilité omniprésente, ce n’est pas son essence qu’elle juge, mais l’absence d’égalité et de respect, voire le manque d’empathie, qui la rendent en définitive vulnérable face à la violence des hommes.  

 

 

Ils n’étaient brillants ni l’un ni l’autre ; ils avaient, je crois, peu d’esprit, peut-être même n’en avaient-ils pas du tout ; mais ils avaient celui qui fait dire des choses puissantes ou délicieuses ; ils avaient l’esprit du cœur. Indiana est ignorante, mais non pas de cette ignorance étroite et grossière qui procède de la paresse, de l’incurie ou de la nullité ; elle est avide d’apprendre ce que les préoccupations de sa vie l’ont empêchée de savoir (...).

 

Cet extrait se trouve à la fin du roman. Un nouveau narrateur surgit dans l’histoire et parle à la première personne. Il rencontre l’héroïne Indiana et son cousin Ralph. À travers sa voix, on ressent en réalité celle de George Sand, comme si celle-ci souhaitait établir un contact avec ses personnages fictifs et assister à la conclusion de son oeuvre. C’est peut-être pour cela qu’elle intègre à mon sens cette opinion sur le caractère d’Indiana, afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté à propos de sa considération envers les femmes.

 

Ralph semble d’ailleurs rejoindre Indiana comme s’ils revenaient à un point d’égalité. Le narrateur les décrits ensemble (« ils ») selon une désignation similaire (« Ils n’étaient brillants ni l’un ni l’autre »), Même si effectivement, Indiana se démarque par son « ignorance », une ignorance perçue comme vertueuse (« elle est avide d’apprendre ») afin d’enlever à ce terme son aspect péjoratif (« non pas de cette ignorance étroite et grossière »).

 

George Sand dépasse le simple constat d’un système à vocation patriarcale. Elle souligne aussi son caractère nuisible aux deux sexes. En s’appropriant un pouvoir contre les femmes, les hommes se privent d’une liberté d’agir, conformément aux règles que leur dicterait la bienséance. Le vivre-ensemble pour énoncer les choses clairement. Ils se retrouvent par conséquent victimes des autres hommes usant de leur pouvoir et finissent en dernière instance par être dominés. 

 

 

 

Le plus honnête des hommes est celui qui pense et qui agit le mieux, mais le plus puissant est celui qui sait le mieux écrire et parler. Ralph n’était ni éloquent ni séducteur ; il se sentait accablé par l’éloquence de Raymon, et pourtant il voyait dans ses discours ce que tout le monde n’y voyait pas : des mensonges habiles et des fausses promesses. Mais il était lent à rassembler ses idées, plus lent encore à les exprimer, et il subissait la conscience de sa faiblesse.

 

Parmi les personnages, Ralph représente le meilleur des hommes. Et s’il tend parfois à exprimer des idées reçues à propos des femmes (« (…) Ralph, qui avait une médiocre opinion de l’intelligence et du raisonnement chez les femmes »), il n’en était pas moins victime de l’éloquence de Raymon de Ramière.

 

En prenant le recul nécessaire à l’issue de la lecture complète de l’oeuvre, je note que Sand fait preuve d’une maîtrise remarquable. Les figures littéraires se mettent au service d’une tension que l’auteur souhaite dénoncer. Non seulement en soulignant la complexité des personnages par la nuance qu’ils révèlent, mais aussi en présentant des situations ironiques et dramatiques à la fois. 

 

Dramatique par les scènes de violences auxquels le lecteur assiste (« il la saisit par les cheveux, la renversa, et la frappa au front (…) »).

 

Ironique par la fragilité que les hommes finissent par dévoiler, lorsqu’ils se rendent compte de la portée de leurs méfaits.

 

À peine eut-il imprimé cette marque sanglante de sa brutalité à un être faible, qu’il eut horreur de lui-même. Il s’enfuit épouvanté de ce qu’il avait fait, et courut s’enfermer dans sa chambre, où il arma ses pistolets pour se brûler la cervelle (..)..

 

Et l’on pourrait revenir sur le thème de l’éloquence, qui donne assurément un certain hégémonie à celui qui en fait usage, mais elle masque à dire vrai la faiblesse de leur sentiments.

 

Il se pencha vers elle avec cet air de passion qu’il savait si bien affecter. Ses paroles semblaient jaillir du fond d’une âme bouleversée, mais c’était son esprit, et non son cœur, qui les composait. Raymon aimait moins Indiana qu’il ne s’aimait lui-même en train de l’aimer. Toute la chaleur de son discours ne venait que d’une habitude longuement cultivée, et, bien qu’il se sentit ému, il n’y avait rien dans son émotion qui fût plus profond que le désir de triompher.

George Sand établit une distinction lumineuse et montre une ambivalence relevant très justement du coeur et de l’esprit, de la victime et du bourreau, de la femme et de l’homme.

 

Chacun désignant un motif littéraire, nous appelant à comprendre que femme et hommes ne retrouveront leur liberté qu’avec un retour d’un équilibre vertueux entre les deux.

 

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